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La responsabilité de l’entrepreneur pour les vices de sol entrainant la perte de l’ouvrage

Par Me Nicolas Gosselin, Me Julien Tricart et Me Sarah Leclerc / BCF

 

Le régime de responsabilité légale en cas de perte de l’ouvrage prévue à l’article 2118 du Code civil du Québec n’a plus besoin de présentation. Ce régime prévoit une présomption de responsabilité pour l’entrepreneur et les professionnels dans diverses situations, sans exiger la preuve d’une faute, et des moyens d’exonération limités. La perte de l’ouvrage en raison d’un vice de sol mérite qu’on s’y attarde, particulièrement dans un contexte où la disponibilité de terrains constructibles en milieu urbain se raréfie.

Qu’est-ce qu’un vice de sol ?

Un vice de sol peut provenir de la présence d’éléments étrangers comme des débris ou des contaminants, mais aussi de la composition géologique du sol. À ce titre, bien qu’un sol dans son état naturel ne soit pas en lui-même vicié, l’interprétation erronée de sa résistance ou de sa capacité portante à recevoir l’ouvrage est susceptible d’entrainer la responsabilité de l’entrepreneur. Avec les techniques modernes, tout sol est potentiellement constructible, pourvu qu’on y applique les techniques appropriées.

La responsabilité de l’entrepreneur

La seule preuve d’un vice de sol n’engage pas automatiquement l’application de cette présomption de responsabilité : la démonstration d’une « perte de l’ouvrage » dans les cinq ans de la construction est nécessaire. Dans ce cas, l’entrepreneur devra démontrer que la perte de l’ouvrage résulte des expertises, plans et devis préparés par les professionnels choisis par le client ou de décisions imposées dans le choix du sol ou des méthodes de construction.

Sur le choix du sol, le seul fait que celui-ci appartienne au client n’écarte pas automatiquement cette présomption de responsabilité, l’entrepreneur pouvant être tenu responsable s’il pouvait détecter le vice par un examen attentif. En cas de doute, l’entrepreneur devrait obtenir des expertises ou recommander au client de le faire. Si l’entrepreneur agi plutôt comme vendeur du terrain, les dispositions applicables en matière de garantie de qualité trouveront elles aussi application. Ainsi, l’entrepreneur, agissant comme vendeur professionnel, se verra imposer une présomption de connaissance d’un éventuel vice et pourra difficilement se dégager de sa responsabilité en argumentant qu’il ne connaissait pas le vice ou n’avait pas constaté d’indice.

Dans tous les cas, l’entrepreneur doit appliquer des méthodes adaptées à la nature et à la composition du sol. La réalisation préalable d’une étude géotechnique par un professionnel ne sera pas suffisante en soi pour écarter sa responsabilité.

Comment les entrepreneurs peuvent-ils se protéger ?

Le régime de responsabilité pour perte d’ouvrage est d’ordre public et ne peut donc être contractuellement modifié. La Cour d’appel a rejeté l’argument à l’effet qu’une clause spécifiant que le client était responsable de la résistance et de la capacité portante du sol avait pour effet d’exonérer l’entrepreneur. Elle a plutôt conclu qu’une telle clause signifiait qu’une étude de sol jugée nécessaire par l’entrepreneur serait à la charge du client.

Pour les contrats publics, où le client est souvent sophistiqué et accompagné de professionnels, l’obligation de renseignement de l’entrepreneur peut être moins stricte. Toutefois, l’entrepreneur doit rester vigilant, et ne peut se fier aveuglément aux études géotechniques réalisées par le client. Si, par exemple, l'excavation révèle des caractéristiques de sol différentes de celles prévues, l’entrepreneur doit en informer le client et les professionnels.

Chaque chantier est unique, et les généralisations sur les mesures à prendre sont à éviter. Toutefois, l’entrepreneur a intérêt à bien documenter ses actions et à signaler promptement tout enjeu potentiel avec le sol. En cas de litige impliquant une perte de l’ouvrage, les échanges et comptes-rendus de réunions de chantier seront analysés en détail pour vérifier le comportement des parties.

Finalement, les entrepreneurs ont avantage à s’assurer que leurs contrats contiennent des clauses de révision de prix lorsque les travaux révèlent la présence de conditions de sol non initialement dénoncées (voir notamment le contrat type récemment révisé du Comité canadien des documents de construction en matière de contrat à forfait (CCDC-2)).

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