(Montréal, le 1er octobre 2003) Dans le cadre d’une conférence de presse tenue aujourd’hui devant les principaux acteurs de l’industrie de la construction et du monde patronal québécois, la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ) a dévoilé les résultats d’une étude portant sur les conséquences économiques et l’impact sur les coûts de la construction d’un des organismes privés les plus controversés de l’industrie, le Bureau des soumissions déposées du Québec (BSDQ). Cette étude, conduite par le professeur Claude Fluet du département des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal permet à la CEGQ de conclure que prise globalement, la réglementation du BSDQ entraîne une augmentation du prix de réserve (prix que l’entrepreneur pourrait obtenir hors BSDQ) des entrepreneurs généraux d’environ 10%. Ceci n’est pas négligeable sur une masse de projets évaluée à un milliard $ par année.
Le Code du Bureau des soumissions déposées du Québec, rappelons-le, est un contrat privé conclu entre trois associations de l’industrie, la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), la Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ) et l’Association de la construction du Québec (ACQ). Issu des dispositions des lois sur les maîtres tuyauteurs et maîtres électriciens, le BSDQ a été établi dans le but d’encadrer la manière de contracter des membres de ces deux corporations. Suite à l’entente de partenariat conclue avec l’ACQ, le service s’est depuis étendu à quelques 42 autres spécialités de l’industrie, lesquelles sont dorénavant soumises au code d’éthique de l’organisme, réputé pour être d’une rigidité tout à fait unique en Amérique du Nord et dont plusieurs dispositions sont contraires aux principes régissant les lois de la concurrence.
Au départ, le Code du BSDQ a été conçu comme un moyen d’établir des règles de soumissions communes et d’offrir une protection contre les abus. Dans les faits cependant, la procédure mise en place par le BSDQ est devenue un instrument qui limite la concurrence, taxe la compétitivité, encourage les poursuites judiciaires, sans compter que certaines de ses dispositions peuvent favoriser la collusion. Ceci a comme conséquence extrêmement négative de faire augmenter les coûts de la construction au Québec.
Une entente entre concurrents pour réguler la concurrence
Un caractère unique en Amérique du Nord
L’étude du professeur Fluet conclut globalement que « Le Code de soumission du BSDQ est un véritable cas d’école sur l’économie politique des auto-réglementations visant la promotion des intérêts privés de groupes de producteurs, plutôt que l’intérêt public. » Selon lui, pris dans son ensemble, le Code ne constitue, ni plus ni moins, qu’une entente entre concurrents pour réguler la concurrence. « Les nouvelles dispositions du Code adoptées après 1993, représentent des changements majeurs à contre-courant de ce qui se passe ailleurs en Amérique du Nord. Ainsi,le Code de soumission est maintenant beaucoup plus restrictif en ce qui concerne les conditions pour présenter une soumission, ce qui équivaut à l’établissement de nouvelles barrières à l’entrée dans l’industrie », a-t-il affirmé.
Pour avoir comparé la situation au Québec avec ce qui se passe aux États-Unis, le chercheur note en effet que toutes les tentatives d’implantation de règles aussi restrictives ont été mises en échec par les lois sur la concurrence. Il souligne en outre qu’au Canada, un code de soumission peut s’appliquer à la demande expresse du donneur d’ouvrage, mais seulement dans les spécialités qu’il a déterminées. Cependant, pareil code ne doit en rien restreindre le nombre de soumissionnaires, ni exiger de garanties, ni disqualifier les soumissionnaires ne répondant pas aux exigences, comme cela se pratique quotidiennement au sein du BSDQ.
Parmi les dispositions étudiées, l’étude de M. Claude Fluet relève trois principales catégories susceptibles de limiter la concurrence, soient l’obligation pour l’entrepreneur général de devoir accepter la plus basse soumission, sans se prévaloir d’un prix de réserve, les exigences de cautionnements et garanties financières imposées au sous-traitant, de même que la nature restrictive des contrats entre généraux et spécialisés, toutes choses qui s’appliquent nonobstant la volonté des parties, dont celle des donneurs d’ouvrage.
Des dispositions limitant considérablement la concurrence
À l’égard de la règle qui oblige l’entrepreneur général à accepter la soumission la plus basse, peu importe le prix soumis, même s’il est prouvé qu’il est carrément abusif et hors marché, le professeur Fluet confirme : « À cet égard, compte tenu des dispositions ayant pour effet de restreindre le nombre de soumissionnaires, l’objectif des clauses actuelles du Code est de forcer l’acceptation d’une soumission, présentée par un sous-traitant adhérent au BSDQ, indépendamment du caractère raisonnable ou non des prix proposés ». Pierre Latreille, président de la CEGQ ajoute pour sa part que : « Cette disposition du code a pour conséquence d’imposer aux donneurs d’ouvrage, publics et privés, aux industries, aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’ aux commerçants, des coûts qui peuvent s’avérer prohibitifs et sur lesquels ils n’ont aucun contrôle. En bout de ligne, indéniablement, c’est l’ensemble des contribuables qui en fait les frais ».
Quant à la disposition imposant un cautionnement aux entrepreneurs spécialisés, la CEGQ remarque qu’elle a pour conséquence d’exclure du marché la très grande majorité d’entre eux, principalement en raison du risque financier d’importance qu’elle représente pour le sous-traitant de plus petite envergure, pouvant aller jusqu’à retomber sur les avoirs personnels des dirigeants. L’effet direct de cette règle, comme relevé dans l’étude, est de réduire la concurrence dans les appels d’offres dont les soumissions doivent passer par le BSDQ au profit des entrepreneurs spécialisés de plus grande envergure ne faisant pas face aux mêmes contraintes financières. A défaut de preuves contraires, conclut le chercheur, on doit s’attendre à ce que ce Code vise avant tout les intérêts des certains entrepreneurs spécialisés : « Les entrepreneurs spécialisés les plus présents dans les instances des associations propriétaires du BSDQ ont plutôt tendance à être des spécialisés d’importance dont les intérêts convergent vers l’existence d’un système leur permettant de ne pas être aussi compétitifs qu’ils devraient l’être dans un libre marché ». affirme-t-il.
L’étude d’impact économique affirme en outre qu’aucun des arguments mis de l’avant par les tenants du système, dont celui à l’effet que le marchandage et la négociation se feraient au détriment de la qualité de l’ouvrage et au détriment du maître d’ouvrage, ne justifierait l’obligation de recourir au bureau de dépôt. « Si cet intérêt était réel, le Code devrait laisser entière liberté au maître d’ouvrage de décider de son application. Or, au Québec cette liberté n’existe pas puisque le Code s’applique nonobstant la volonté du donneur d’ouvrage pour toutes les spécialités assujetties », a précisé Claude Fluet.
Vers un allègement significatif de la réglementation
« L’industrie de la construction, pas plus que l’économie québécoise, ne peuvent tolérer plus longtemps d’être soumis aux diktats d’un groupe d’individus à qui profite le système», a déclaré M. Latreille. Conséquemment, les entrepreneurs généraux demandent donc au ministre du Travail du Québec de revoir les dispositions des lois des deux corporations fondatrices du BSDQ, qui leur permettent d’étendre à d’autres spécialités de l’industrie les pouvoirs que leur a donné le législateur et ce, sans que quiconque ne puisse réagir. En outre, si un tel code devait continuer d’exister au Québec, les entrepreneurs demandent au gouvernement de faire en sorte que ses dispositions soient harmonisées avec ce qui se passe ailleurs au Canada.
Le président de la CEGQ a par ailleurs souligné que le premier ministre Charest lui-même, dans une allocution prononcée devant les entrepreneurs généraux réunis en congrès en janvier dernier, s’est engagé à revoir les règles du BSDQ, dans une perspective d’allégement de celles-ci. « En dernière étape, nous voulons qu’un tel code soit validé par le Bureau de la concurrence du Canada, lequel, en ce moment, n’a pas juridiction pour enquêter sur des conduites qui pourraient s’avérer contraires à la Loi sur la concurrence, lorsqu’elles sont autorisées par une législation fédérale ou provinciale », d’ajouter le président.
« L’allégement réglementaire, dans l’industrie de la construction comme ailleurs, est une nécessité pour assurer la compétitivité et la productivité des entreprises québécoises, comme en font foi toutes les actions menées conjointement en ce sens ces dernières années par les principaux acteurs de l’industrie de la construction et du milieu patronal québécois. Le dossier du BSDQ, qui déchire l’industrie depuis trop longtemps déjà, exige une prompte intervention de la part des autorités gouvernementales. Nous sommes confiants qu’elles agiront avec diligence dans ce dossier, dans l’intérêt public », a conclu M. Latreille.
P.S. : L’étude de M. Claude Fluet
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