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Les documents de fin de contrat, la dernière page du livre d’un projet de construction?

Par Me Marilyn Tétrault-Beaudoin / De Grandpré Chait

 

À la fin d'un contrat de construction au Québec, l’entrepreneur doit généralement remettre une documentation complète et précise attestant de la bonne exécution des travaux, du respect de ses obligations financières à l’égard des sous-traitants et des fournisseurs et de la conformité aux normes de sécurité. Dans ce texte, nous explorerons plus en détail en quoi consistent cette documentation et son importance, notamment à l’égard du paiement final, et comment les tribunaux traitent du refus de l’entrepreneur de remettre un ou des documents de fin de chantier.

Les documents de fin de contrat, de quoi s'agit-il ?

La plupart des contrats de construction prévoient une clause imposant à l’entrepreneur de remettre une série de documents en même temps que la demande de paiement finale.

Parmi les documents essentiels de fin de contrat, on retrouve la quittance finale et totale, l'attestation définitive d'employeur en règle de la Commission de la construction du Québec (CCQ), la lettre de libération d'employeur en règle de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), les certificats de conformité et rapports de contrôles, les documents de garantie, les manuels d'entretien, les plans tels que construits et le formulaire P19-01 (CCQ) etc., tout dépendant des clauses propres à chaque contrat.

Évidemment, d’autres documents peuvent être requis par le client et il convient de toujours se référer aux termes du contrat pour connaitre l’étendue de la documentation requise.

L’importance des documents de fin de contrat pour le paiement des travaux

Ces documents revêtent une importance particulière au moment du paiement final. Ils permettent au client ou à l’entrepreneur de s’assurer qu’il n’est pas susceptible d’être tenu responsable par des tiers du défaut de son cocontractant d’exécuter certaines de ses obligations en vertu du contrat.

L’obligation de remettre les documents de fin de contrat est exclusivement contractuelle. La loi ne l’impose pas. Ainsi, en l’absence de toute disposition contractuelle à l’effet que l’entrepreneur doit remettre les quittances de ses sous-traitants au donneur d’ouvrage, ce dernier pourrait être mal fondé de retenir le paiement de la retenue. La Cour d’appel a d’ailleurs jugé un tel comportement d’abusif dans Ville de Québec c. ITE Construction inc.1, alors que la Ville refusait pendant plus de 18 mois de payer ITE Construction, alors que ses consultants recommandaient le paiement. En conséquence, la Ville a été condamnée, en plus du paiement des intérêts à compter de l’exigibilité, au paiement de la somme de 10 000,00 $ à titre de dommages pour troubles, ennuis, inconvénients et atteinte à la réputation.

Certains entrepreneurs refuseront, malgré les termes du contrat, de remettre un ou des documents, pour des motifs qui s’apparentent à ce qui suit :

  1.  ils veulent protéger leur droit ; ii) ils sont simplement dans l’impossibilité de le faire ;
  2. à tort ou à raison, ils s’en servent comme levier de négociation.

D’abord, dans un arrêt de la Cour d’appel rendu le 20 avril 2023, Pavage Chabot inc. c. Construction DJL inc.2, Pavage Chabot inc. (ci-après « Pavage Chabot ») a retenu pendant près de 13 ans la documentation de fin de contrat.

Dans cette affaire, Construction DJL inc. (ci-après « DJL ») avait conclu en avril 2010 un contrat avec le ministère des Transports du Québec pour la reconstruction, le planage et l’amélioration du drainage de diverses bretelles de l’autoroute 50, dans la région de Gatineau et avait retenu Pavage Chabot inc. à titre de sous-traitant.

En cours de chantier, un évènement malheureux survient, causant la mort d’un des représentants de Pavage Chabot. Cette dernière reprochera à DJL notamment d’avoir manqué à ses obligations de sécurité. Le 17 janvier 2012, DJL plaide coupable à une accusation d’avoir agi de manière à compromettre la sécurité ou l’intégrité d’un travailleur.

Le contrat de sous-traitance prévoyait que Pavage Chabot devait fournir à DJL les documents de fin de contrat au moment de soumettre sa demande finale de paiement. Ainsi, quelques jours avant la fin des travaux (23 juillet 2010), Pavage Chabot transmet sa demande de paiement pour les travaux supplémentaires au montant d’environ 65 000 $ et transmet quelques jours plus tard sa demande de paiement pour le solde contractuel, d’environ 40 000$. DJL demande à Pavage Chabot de lui fournir les documents de fin de contrat, ce que cette dernière refuse de faire avant d’avoir été payée.

Pavage Chabot intente son recours contre DJL le 1er octobre 2013. En ce qui a trait aux documents de fin de chantier, la Cour explique leur importance et conclut que, puisque les travaux se sont terminés il y a presque 13 ans, DJL ne court plus de risque en payant Pavage Chabot sans avoir reçu les documents de fin de chantier. Par ailleurs, DJL avait reconnu devoir le solde contractuel à Pavage Chabot. Étant donné qu’il est impossible de déterminer le moment exact à compter duquel il est devenu déraisonnable d’exiger les documents de fin de chantier, la Cour conclut que les intérêts doivent courir à partir du dépôt de la demande en justice.

Le caractère déraisonnable de l’exigence des quittances des sous-traitants par le donneur d’ouvrage a aussi été analysé par la Cour d’appel dans Ville de Québec c. Construction BSL3,. Dans cette affaire, la Ville de Québec (la « Ville ») exigeait les quittances des sous-traitants à l’entrepreneur avant de lui verser le paiement final. Or, dans le contexte où la Ville était partie ou mise en cause aux procédures entre Construction BSL (« BSL ») et deux de ses sous-traitants, celle-ci savait que BSL était dans l’impossibilité de lui remettre les quittances. Puisque le Directeur de la Ville avait recommandé le paiement des travaux à BSL, la Ville était donc mal fondée de retenir le paiement au motif qu’elle n’avait pas reçu les quittances. Le paiement de BSL était exigible. Elle condamne donc la Ville au paiement des intérêts à compter de l’assignation.

Il convient de distinguer ces deux derniers cas de la situation où l’entrepreneur retient sans motif valable les documents de fin de contrat, tout en exigeant le paiement final, comme ce fut le cas dans 141517 Canada inc. c. Casiloc inc.4. Dans une telle situation, la Cour a conclu que ce faisant, le solde contractuel n’était pas exigible. Or, puisque c’est à compter de l’exigibilité que les intérêts peuvent courir, l’entrepreneur n’a eu droit aux intérêts qu’à compter de l’assignation.

Conclusion

La jurisprudence regorge d’autres exemples où les documents contractuels ont causé des tensions entre les parties à un contrat de construction. En effet, derrière l’apparente simplicité de cette étape, la remise des documents contractuels a une importance particulière. Chaque cas étant un cas d’espèce, il est difficile de tirer des généralités de ce qui précède, tant les contrats de construction diffèrent les uns des autres. Ainsi, il est préférable de consulter vos documents contractuels pour déterminer ce qui s’applique à votre situation.

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  1. 2021 QCCA 1628.

  2. 2023 QCCA 543.

  3. 2022 QCCA 1682.

  4. 2016 QCCA 598.

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