Par Me Éric Thibaudeau / BCF
En 2022, 69 québécois(ses) ont perdu la vie dans le cadre d’un accident de travail. Les accidents graves entraînant une mutilation se comptent par centaines. Lorsque le pire survient, un employeur doit être en mesure d’agir – et surtout de réagir – efficacement. Une fois le tourbillon débuté, il est trop tard pour se demander quoi faire. Votre entreprise est-elle prête ?
Les intervenants
Lors de la survenance d’un accident grave ou mortel, plusieurs intervenants se rendront sur les lieux de l’incident, le jour même, ou communiqueront avec vous dans les jours suivants :
- Police (enquête policière pour négligence)
- CNESST (causes de l’accident et poursuite pénale)
- Commission de la construction du Québec (qualification des salariés) Coroner, en cas de décès (détermination des causes du décès et recommandations)
- Syndicat (Comité SST, droit de refus, représentation de la famille du défunt, etc.)
- Assureur (responsabilité civile)
- Régie du bâtiment du Québec (remise en cause de la détention de licence d’entrepreneur)
- Médias
Chaque intervenant a son rôle, ses droits, mais aussi ses obligations. Par exemple, la police doit respecter les dispositions de la Charte des droits et libertés dans le cadre de son enquête criminelle, comme le droit au silence ou à l’assistance d’un avocat. Pour la CNESST, cela variera selon qu’il s’agit d’une enquête administrative ou pénale.
Malheureusement, les dirigeants d’entreprise sont rarement préparés à un tel événement. Il importe de fournir à chacun des intervenants ci-dessus les informations nécessaires et requises par la loi, mais non pas toutes les informations, sans discernement. Par exemple, une déclaration d’un représentant de l’employeur, comme un contremaître ou un surintendant, faite à un inspecteur de la CNESST constitue un aveu extrajudiciaire : elle peut être rapportée en preuve dans le cadre d’un procès pénal. Vous devez éviter de raconter votre version de l’événement de long en large à tous les intervenants et de laisser tous vos représentants s’exprimer sans coordination.
Les conséquences
Outre la victime elle-même et sa famille, un accident grave ou mortel peut avoir de sérieuses conséquences. Les principales pour un entrepreneur en construction sont les suivantes et devraient être priorisées ainsi :
- Poursuite pour négligence criminelle ;
- Enquête et poursuite pénale de la CNESST ;
- Poursuite civile de la succession ou du salarié d’un tiers employeur ;
- Enquête de la RBQ ;
- Risque réputationnel.
Ces enjeux sont interreliés. Chaque intervenant prétendra n’avoir qu’un rôle précis et limité : la réalité est toute autre. Par exemple, une condamnation criminelle ouvre la porte à une poursuite civile. Des éléments de preuve recueillis par la police peuvent être transmis à la CNESST et vice-versa. Une condamnation criminelle ou une accusation en vertu de l’article 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ouvre la porte à une suspension ou une annulation de votre licence RBQ.
La planification nécessaire
Conséquemment, un plan d’action en cas d’accident grave ou mortel doit être mis en place. Il doit identifier les personnes responsables de chaque action au sein de votre entreprise, ainsi que les ressources externes, notamment :
- Préventionniste pour procéder à votre enquête interne sur les causes de l’accident ;
- Avocat spécialisé, pour discuter avec les différents intervenants en chantier et ce, dans les heures suivant l’événement. N’attendez pas la réception de recours pour le contacter ;
- Avocat criminaliste indépendant pour tout représentant de l’entreprise visé par une enquête criminelle ;
- Firme de relations publiques, si besoin est, pour faire la gestion des médias.
Toutes ces personnes, autant internes qu’externes, doivent être informées de leur rôle au moment de l’adoption du plan. Bien que vous espériez ne jamais vous en servir, ce plan d’action est essentiel à une gestion efficace d’une situation souvent hors contrôle. Mieux vaut prévenir.